Les onomatopées chinoises

Publié par Chloé Bonnadier le samedi 09 novembre 2019

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à parler le chinois

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L'onomatopée est souvent négligée en France, reléguée uniquement aux bandes dessinées ou aux livres pour enfants. Pourtant elle est digne d'intérêt. Les onomatopées existent dans toutes les langues et grâce à l'imagination de multiples auteurs à travers le monde, de nouvelles onomatopées voient le jour sans cesse. Elles rythment nos conversations les rendant vives et bruyantes, ravivent notre imaginaire et nous poussent à explorer plus avant les possibilités qu'offre notre langue. Si en occident nous ne l'avons pas encore compris, les chinois de leur côté sont déjà très au fait de l'importance des onomatopées dans le discours.

Apparition de l'onomatopée dans la littérature chinoise


L'onomatopée a en français une utilisation restreinte, elle fait partie d'un genre littéraire « bas » et n'est utilisée que dans ce qu'on peut qualifier de « sous-littérature », la bande dessinée et la littérature pour enfants. En témoigne Alexis Brossollet – traducteur de roman chinois – dans son Petits lexique français/chinois des onomatopées interjections et autres bruits :

[…] le cadre souvent restreint qui est le leur [les onomatopées] en français celui de la bande dessinée ou de quelque expérience littéraire radicale. […] Elles n'ont donc malheureusement pas leur place, à l'exception des plus courantes, dans les dictionnaires de bon aloi.

A contrario l'onomatopée trouve sa place dans la langue chinoise à l'oral comme à l'écrit. Les chinois friands d'onomatopées et autres interjections aiment à les glisser dans leur discours, le rendant plus bruyant et imagé. Chaque conversation est ainsi rythmée par des 啊呀 de surprise ou des 哎哟de douleur, et chaque roman se colore d'un foisonnement de bruits, le 哗啷啷inquiétant d'un portail qui claque dans notre dos, le 噼噼啪啪 rassurant du feu qui crépite dans la cheminé ou encore le soudain 乓乓乓 d'un coup de feu qui vous fait sursauter.

Beaucoup situent l'apparition des onomatopées chinoises en littérature dans les romans en langue vernaculaire des dynasties Ming et Qing, la langue chinoise classique en serait dépourvue, cultivant la concision comme vertu première. Et pourtant, dans un papier intitulé 英汉拟声与翻译 – Onomatopées chinoises et anglaises en traduction – il est précisé que le canon des poèmes 诗经, un des cinq classiques confucianistes datant du XIème siècle avant J.C, utilise un grand nombre de mots imitant des sons. Les onomatopées sont donc apparues dans l'écriture chinoise dès le XIème siècle avant J.C, alors même que les écrits étaient en langue classique古文 comme le fait remarquer Yin Binyong dans Chinese romanization : pronunciation and Orthography :

Onomatopeics words may be divided in two subgroups. The first type consists of words that originate in classical chinese, and wich have been passed down through written records. These forms are generally limited in use to literary language.
Les onomatopées peuvent être divisés en deux sous-groupes. Le premier type est composé de mots originaires du chinois classique et qui ont été transmis par écrit. Ces formes sont généralement limitées dans l'utilisation du langage littéraire.

Outre le fait de nous assurer que la langue classique chinoise utilisait bien des onomatopées, cette observation nous apporte une autre précision : certaines onomatopées sont spécifiques au langage littéraire. Voilà qui est intéressant, au-delà de simplement utiliser les onomatopées à l'écrit, la langue chinoise les intègre totalement au même titre que les autres mots avec leurs formes soutenues ou courantes.

Un exercice de style


« Dans le crâne d'un auteur chinois se croisent les bruits les plus étranges, qu'il retranscrit volontiers [...] » écrit Patrick Doan dans son article Le coq est-il polyglotte ? Les auteurs chinois sont friands de ces mots imitatifs et c'est avec grand plaisir qu'ils les inventent, les déforment, les tordent, les détournent de leur usage normal, pour en faire sortir plus de bruit qu'elles n'en contiennent d'ordinaire. Les onomatopées deviennent alors un véritable exercice de style pour les auteurs qui rivalisent d'imagination pour montrer l'étendue de leur savoir faire, « la diversité des onomatopées est une marque certaine de l'ambition littéraire de l'auteur » nous assure Alexis Brossollet. Ce n'est d'ailleurs pas un exercice facile, l'écrivain qui s'amuse à en triturer le sens ou le son, prend aussi le risque que son bruitage ne soit pas compris. Un usage abusif d'onomatopées peut tout aussi bien nuire au style de l'auteur, car d'aucuns penseront que cela relève de la facilité et fait tord à la qualité et la fluidité. C'est d'ailleurs le cas pour toutes les figures de style.  « Citons les sentences en quatre caractères (chengyu 成语) dont les auteurs chinois sont également friands. En parsemer sa prose à bon escient témoigne d'une certaine culture. En couvrir des pages confine rapidement au pédantisme » analyse très justement Brossollet. 

Nous avons parlé de déformer le sens d'une onomatopée, mais comment se jouer de la sémantique d'un mot qui se veut purement imitatif ? L'onomatopée a pour fonction l'imitation d'un son et son sens est donc à priori réduit à ce simple écho du monde réel, on peut penser qu'en cela elle échappe à la notion d'arbitraire du signe. Pourtant les onomatopées sont transposées dans un système linguistique donné dans lequel elles deviennent conventionnelles, en témoigne les « aïe » et les « ouilles » de douleur, elles prennent donc un sens, un homme qui crie « aïe ! » est en homme qui souffre, et un enfant qui s'esclaffe à grand « hahaha ! » est un enfant qui s'amuse. Les chinois poussent cet aspect sémantique encore plus loin, comme le note Patrick Doan :

Su Tong indique que lorsque son héros Wulong urine dans le roman Riz, le son entendu est « hua hua 哗哗 », comme l'eau d'une rivière. Ce qui prouve que Wulong n'a pas de problème de prostate, et c'est le message que veut faire passer Su Tong.

De même dans Les hauts monts Qinglian de Lin Jingran l'onomatopée 吧嗒吧嗒, vient nous indiquer que le personnage fume une pipe et non des cigarettes, pourtant rien n'est indiqué dans la phrase en ce sens, il fumait juste en faisant « badabada ». C'est le bruit de succion qu'il fait en fumant qui nous indique que c'est une pipe. L'onomatopée est donc porteuse de sens. 

Les onomatopées dans la bande dessinée


Les bandes dessinées occidentales sont truffées d'onomatopées, elles en forment la bande son, sans ces mots bruyants aucun coup de feu ne retentirait, aucune porte ne claquerait et un objet tombant d'une table rencontrerait le sol dans un silence aussi triste que peu naturel. Au contraire, la bande dessinée traditionnelle chinoise 连漫画 est plutôt pauvre en onomatopées, ces bandes dessinées se présentent sous la forme de livrets avec une image par page accompagnée d'une courte légende et très peu de bulles de conversation. Avec l'influence des bandes dessinées japonaises, les fameux mangas, et dans une moindre mesure de la bande dessinée occidentale, les bandes dessinées chinoises actuelles en sont truffées, elles viennent animer l'image, bande son écrite d'un support visuel. Leur aspect graphique apporte une valeur indicielle, mime le procès de production, une graphie grasse indiquera un bruit fort, une graphie légère un bruit faible ou un chuchotement, une fissure parcourant l'onomatopée indiquera un objet sur le point de se briser. Cela est aussi vrai pour les bandes dessinées occidentales, là où réside une différence ce n'est pas dans la bande son mais dans les dialogues. Les dialogues des bandes dessinées chinoises sont beaucoup plus riches en onomatopées et interjections que ceux ds B.D occidentales. Elles font passer des sentiments, par ici un 哇de surprise, par là un 啦 d'exaspération, elle font passer l'humeur et le ressenti du personnage qui parle.

Publié par Chloé Bonnadier

"Celui qui déplace la montagne, c'est celui qui commence à enlever les petites pierres."

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Les onomatopées chinoises

Publié par Chloé Bonnadier le samedi 09 novembre 2019

L'onomatopée est souvent négligée en France, reléguée uniquement aux bandes dessinées ou aux livres pour enfants. Pourtant elle est digne d'intérêt. Les onomatopées existent dans toutes les langues et grâce à l'imagination de multiples auteurs à travers le monde, de nouvelles onomatopées voient le jour sans cesse. Elles rythment nos conversations les rendant vives et bruyantes, ravivent notre imaginaire et nous poussent à explorer plus avant les possibilités qu'offre notre langue. Si en occident nous ne l'avons pas encore compris, les chinois de leur côté sont déjà très au fait de l'importance des onomatopées dans le discours.

Apparition de l'onomatopée dans la littérature chinoise


L'onomatopée a en français une utilisation restreinte, elle fait partie d'un genre littéraire « bas » et n'est utilisée que dans ce qu'on peut qualifier de « sous-littérature », la bande dessinée et la littérature pour enfants. En témoigne Alexis Brossollet – traducteur de roman chinois – dans son Petits lexique français/chinois des onomatopées interjections et autres bruits :

[…] le cadre souvent restreint qui est le leur [les onomatopées] en français celui de la bande dessinée ou de quelque expérience littéraire radicale. […] Elles n'ont donc malheureusement pas leur place, à l'exception des plus courantes, dans les dictionnaires de bon aloi.

A contrario l'onomatopée trouve sa place dans la langue chinoise à l'oral comme à l'écrit. Les chinois friands d'onomatopées et autres interjections aiment à les glisser dans leur discours, le rendant plus bruyant et imagé. Chaque conversation est ainsi rythmée par des 啊呀 de surprise ou des 哎哟de douleur, et chaque roman se colore d'un foisonnement de bruits, le 哗啷啷inquiétant d'un portail qui claque dans notre dos, le 噼噼啪啪 rassurant du feu qui crépite dans la cheminé ou encore le soudain 乓乓乓 d'un coup de feu qui vous fait sursauter.

Beaucoup situent l'apparition des onomatopées chinoises en littérature dans les romans en langue vernaculaire des dynasties Ming et Qing, la langue chinoise classique en serait dépourvue, cultivant la concision comme vertu première. Et pourtant, dans un papier intitulé 英汉拟声与翻译 – Onomatopées chinoises et anglaises en traduction – il est précisé que le canon des poèmes 诗经, un des cinq classiques confucianistes datant du XIème siècle avant J.C, utilise un grand nombre de mots imitant des sons. Les onomatopées sont donc apparues dans l'écriture chinoise dès le XIème siècle avant J.C, alors même que les écrits étaient en langue classique古文 comme le fait remarquer Yin Binyong dans Chinese romanization : pronunciation and Orthography :

Onomatopeics words may be divided in two subgroups. The first type consists of words that originate in classical chinese, and wich have been passed down through written records. These forms are generally limited in use to literary language.
Les onomatopées peuvent être divisés en deux sous-groupes. Le premier type est composé de mots originaires du chinois classique et qui ont été transmis par écrit. Ces formes sont généralement limitées dans l'utilisation du langage littéraire.

Outre le fait de nous assurer que la langue classique chinoise utilisait bien des onomatopées, cette observation nous apporte une autre précision : certaines onomatopées sont spécifiques au langage littéraire. Voilà qui est intéressant, au-delà de simplement utiliser les onomatopées à l'écrit, la langue chinoise les intègre totalement au même titre que les autres mots avec leurs formes soutenues ou courantes.

Un exercice de style


« Dans le crâne d'un auteur chinois se croisent les bruits les plus étranges, qu'il retranscrit volontiers [...] » écrit Patrick Doan dans son article Le coq est-il polyglotte ? Les auteurs chinois sont friands de ces mots imitatifs et c'est avec grand plaisir qu'ils les inventent, les déforment, les tordent, les détournent de leur usage normal, pour en faire sortir plus de bruit qu'elles n'en contiennent d'ordinaire. Les onomatopées deviennent alors un véritable exercice de style pour les auteurs qui rivalisent d'imagination pour montrer l'étendue de leur savoir faire, « la diversité des onomatopées est une marque certaine de l'ambition littéraire de l'auteur » nous assure Alexis Brossollet. Ce n'est d'ailleurs pas un exercice facile, l'écrivain qui s'amuse à en triturer le sens ou le son, prend aussi le risque que son bruitage ne soit pas compris. Un usage abusif d'onomatopées peut tout aussi bien nuire au style de l'auteur, car d'aucuns penseront que cela relève de la facilité et fait tord à la qualité et la fluidité. C'est d'ailleurs le cas pour toutes les figures de style.  « Citons les sentences en quatre caractères (chengyu 成语) dont les auteurs chinois sont également friands. En parsemer sa prose à bon escient témoigne d'une certaine culture. En couvrir des pages confine rapidement au pédantisme » analyse très justement Brossollet. 

Nous avons parlé de déformer le sens d'une onomatopée, mais comment se jouer de la sémantique d'un mot qui se veut purement imitatif ? L'onomatopée a pour fonction l'imitation d'un son et son sens est donc à priori réduit à ce simple écho du monde réel, on peut penser qu'en cela elle échappe à la notion d'arbitraire du signe. Pourtant les onomatopées sont transposées dans un système linguistique donné dans lequel elles deviennent conventionnelles, en témoigne les « aïe » et les « ouilles » de douleur, elles prennent donc un sens, un homme qui crie « aïe ! » est en homme qui souffre, et un enfant qui s'esclaffe à grand « hahaha ! » est un enfant qui s'amuse. Les chinois poussent cet aspect sémantique encore plus loin, comme le note Patrick Doan :

Su Tong indique que lorsque son héros Wulong urine dans le roman Riz, le son entendu est « hua hua 哗哗 », comme l'eau d'une rivière. Ce qui prouve que Wulong n'a pas de problème de prostate, et c'est le message que veut faire passer Su Tong.

De même dans Les hauts monts Qinglian de Lin Jingran l'onomatopée 吧嗒吧嗒, vient nous indiquer que le personnage fume une pipe et non des cigarettes, pourtant rien n'est indiqué dans la phrase en ce sens, il fumait juste en faisant « badabada ». C'est le bruit de succion qu'il fait en fumant qui nous indique que c'est une pipe. L'onomatopée est donc porteuse de sens. 

Les onomatopées dans la bande dessinée


Les bandes dessinées occidentales sont truffées d'onomatopées, elles en forment la bande son, sans ces mots bruyants aucun coup de feu ne retentirait, aucune porte ne claquerait et un objet tombant d'une table rencontrerait le sol dans un silence aussi triste que peu naturel. Au contraire, la bande dessinée traditionnelle chinoise 连漫画 est plutôt pauvre en onomatopées, ces bandes dessinées se présentent sous la forme de livrets avec une image par page accompagnée d'une courte légende et très peu de bulles de conversation. Avec l'influence des bandes dessinées japonaises, les fameux mangas, et dans une moindre mesure de la bande dessinée occidentale, les bandes dessinées chinoises actuelles en sont truffées, elles viennent animer l'image, bande son écrite d'un support visuel. Leur aspect graphique apporte une valeur indicielle, mime le procès de production, une graphie grasse indiquera un bruit fort, une graphie légère un bruit faible ou un chuchotement, une fissure parcourant l'onomatopée indiquera un objet sur le point de se briser. Cela est aussi vrai pour les bandes dessinées occidentales, là où réside une différence ce n'est pas dans la bande son mais dans les dialogues. Les dialogues des bandes dessinées chinoises sont beaucoup plus riches en onomatopées et interjections que ceux ds B.D occidentales. Elles font passer des sentiments, par ici un 哇de surprise, par là un 啦 d'exaspération, elle font passer l'humeur et le ressenti du personnage qui parle.

Sources :

Alexis Brossollet, Petit lexique français/chinois des onomatopées et autres bruits, Paris : You Feng, 2010, p.9-10
Binyong Yin, Chinese romanisation: pronunciation and orthography, Mary Felley [trad.], Beijing: Sinolingua, 19990, p.452
Patrick Doan,
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